Frank Miroslav. Article original: Why Collective Action Problems Are Not a Capitalist Plot. Traduction française par anonyme.
Sur l’importance de passer de la rationalité individuelle à la rationalité collective
Un incontournable de la gauche radicale est de blâmer l’absence d’activité radicale, par un sujet collectif particulier perçu comme ayant un potentiel, sur quelques subterfuges capitalistes. Les différents arguments à propos de ce qui s’est passé exactement varient considérablement mais ils tendent à partir du principe qu’une part de la population qui, dans d’autres circonstances se serait révoltée contre le système, a été soumise à travers la propagande, ou achetée.
Bien sûr la propagande a une réelle influence et la récupération des mouvements est une constante à travers l’histoire. Mais je pense que ce que les explications de notre état des faits présent tendent à ignorer c’est le simple fait que l’action collective, c’est dur.
Pour prendre un exemple évident (qui apparaît dans la plupart des textes introductifs à la théorie des jeux), considérez un modèle simple d’une révolution. Si suffisamment de personnes s’y investissent le gouvernement oppressif sera renversé, quelques révolutionnaires mourront et tous les survivant.es bénéficieront. Si un nombre insuffisant de personnes s’y investissent les révolutionnaires seront tué.es/emprisonné.es et ceux.lles qui ne se seront pas investi.es ne souffriront pas de pertes (je précise à nouveau que ceci est un modèle simplifié). Enfin, plus il y a de personnes qui s’y investissent, moins il y a de chances que chaque individus souffre une perte.
Les actions à entreprendre peuvent sembler évidentes du point de vue des personnes qui détestent le régime : Tout ce qu’iels ont à faire c’est déterminer si iels ont atteint.es le seuil requis pour une révolution réussie et ensuite faire une révolution. Mais introduisez un peu d’incertitude dans ce modèle et soudainement ces actions deviennent beaucoup plus difficiles, si les gens n’ont qu’une connaissance très limitée de combien de personnes sont engagé.es dans la nécessité d’un changement radical ou bien si ces mêmes gens ont des doutes sur les engagements privés des autres, ce qui arrive dans ces cas-là c’est qu’un large nombre de personnes haïssent le régime et sont personnellement prêt.es à le faire tomber mais personne n’est prêt.e à faire les premiers pas nécessaires car personne ne croie les autres suffisamment engagé.es. Même des altruistes sérieux.es en reviennent à rester inactif.ves dans ce modèle parce qu’iels ne peuvent pas continuer à faire de bien s’iels sont morts/en prison.
Ceci est un modèle-jouet du changement social. Mais il capture tout de même un fait basique des problèmes d’action collective : qu’une chose paraisse être un net-positif depuis la perspective d’un agrégat ne signifie pas qu’elle sera nécessairement un net positif pour les individus qui composent l’agrégat, ceux.lles qui devront travailler pour réaliser cette chose.
On peut ajouter toutes sortes de nuances à des modèles de problèmes d’action collective pour illustrer la disjonction entre ce qui est rationnel pour l’individu et ce qui est rationnel pour le collectif. Utilisons un modèle simple de changement social dérivé de suppositions marxistes. Partons du principe que la majorité des individus sont motivé.es par l’intérêt personnel et que leurs conditions de vies empirent à cause d’une exploitation grandissante (bien qu’elles existent sur un spectre de mauvaiseté). Une fois qu’un seuil de mauvaiseté est franchis, ces personnes se révolteront (et gagneront car iels ont la supériorité numérique), ce qui amènera une société plus égalitaire / productive où toutes les personnes bénéficieront matériellement.
Bien sûr ceci n’est jamais réellement arrivé. La véritable histoire des mouvements de la classe travailleuse est considérablement plus compliquée que ce simple modèle (lui-même une simplification du marxisme). Une chose qui n’est pas pris en compte par ce modèle sont les nombreux tournants réformistes par de larges mouvements ostensiblement radicaux.
Encore une fois, la réelle histoire de ces tournants réformistes est très compliquée. Mais un des facteurs était simplement les intérêts de la classe travailleuse. Et lorsque l’on introduit l’option de combattre pour des réformes dans notre modèle simple nous pouvons voir comment cela arrive. Si nous partons du principe que les réformes demandent moins de membres de la population qu’une révolution pour rencontrer du succès, qu’elles octroient des bénéfices moins élevés mais également des risques considérablement plus bas pour les individus, la raison pour ces tournants réformistes devient alors évidente.
Étant donné que le niveau de risque et les nombres nécessaires sont tous deux plus bas, on s’attendrait à ce que des individus intéressé.es choisissent la réforme. Et ainsi ce que vous obtenez est un point d’équilibre où des individus se battent pour des réformes jusqu’à ce que les coûts impliqués n’en vaillent plus la peine. Parce que les travailleur.euses ne font que répondre à une privation immédiate, beaucoup arrêterons de se battre une fois un niveau de confort particulier atteint. Les capitalistes n’ont pas besoin de se débarrasser de tous les travailleur.euses pour atteindre l’équilibre, juste suffisamment pour que ceux.lles qui sont encore motivé.es ne puissent pas arriver au seuil requis pour une action collective réussie.
Même si l’on pense que quelque chose comme la baisse tendancielle des taux de profit va prendre effet et éventuellement rendre impossible de soudoyer les travailleur.euses, ce fait ne nécessite aucune action de la part des travailleur.euses.
Étant donné qu’aucun marxiste n’a jusqu’ici montré comment dénoter la vitesse à laquelle le taux de profit décline ainsi que l’échec empirique des prédictions sur la fin du capitalisme, il est plutôt rationnel pour des individus d’ignorer ces éléments étant donné qu’il n’y a pas de manière de trouver quand exactement est-ce que cette fin se produira.
Et ce parce que le rythme auquel le profit décline compte considérablement lorsqu’il s’agit d’agir.
Pour voir pourquoi considérons une fonction de décroissance exponentielle comme e-t*C.
On peut jouer avec le taux de décroissance (C) et augmenter le temps qu’il faut pour qu’il atteignes 0 par ordres de grandeur. Si le taux de profit tombe à zéro sur une échelle de siècles ou de millénaires alors il n’y a même pas de problèmes pour les travailleur.euses du présents qui ne font face qu’à une faible extorsion à cause du capitalisme.
À nouveau, ces modèles simplifiés ne capturent pas les complexités du marxisme (ni même la réalité actuelle). Mais ils permettent d’illustrer un fait simple : l’oppression seule ne suffit pas à motiver l’action radicale d’une manière qui permette de changer effectivement la société.
Maintenant tout ceci peut sembler comme un argument en faveur de l’avant-gardisme, un parti de révolutionnaires professionnel.les et discipliné.es qui mèneront les masses à travers et autour de ces pièges d’incitations. Mais toute sortes de structure centralisée pour orienter les masses crée son propre ensemble de problèmes d’actions collectives.
Pour comprendre pourquoi, considérons un autre modèle simple d’action collective qui pose la question « quand sera-t-il rationnel pour des individus d’agir pour des intérêts collectifs ?»
Bien entendus, les individus diffèrent en termes de ce qui les motivent à prendre part à quelque chose. Ceux.lles qui sont uniquement motivé.es par l’intérêt personnel n’agiront que s’iels croient qu’iels auront un bénéfice à s’engager dans une action collective qui est plus grand que les coûts d’engagement.
Ceux.lles qui sont plus altruistes ont bien sûr tendance à accepter des sacrifices pour les autres. Mais le simple fait que des personnes altruistes existent ne veut pas dire qu’iels seront aptes à agir effectivement de manière collective. Après tout un.e altruiste rationnel.le qui veut aider les autres de manière effective ne va pas juste sacrifier l’intégralité de ce qu’iel a pour la première personne venue (en effet, contrairement à ce que les associations populaires entre naïveté et altruisme implique, on devrait s’attendre à ce qu’un.e altruiste soit plus rationnel.le/calculateur.ice dans ses actions que la moyenne des gens, en commençant par le fait que l’avantage potentiel d’être rationnel.le est beaucoup plus élevé que l’alternative à cause de la décroissance de rendements sur la consommation individuelle).
Est-ce que la solution est une avant-garde d’altruistes rationnel.les ? Non.
Même en ignorant le problème d’essayer de déterminer si quelqu’un.e est réellement un.e altruiste rationnel.le ou les effets psychologiques du pouvoir sur les personnes, une union d’altruistes rationnel.les n’assure pas une activité de groupe rationnelle. Il y a beaucoup de problèmes pressants dans le monde et aucune manière évidente de déterminer sur quoi on devrait se concentrer ou comment ces problèmes devraient être gérés. Étant donné que toute voie à suivre doit nécessairement voir des individus s’accorder sur la marche à suivre, cela crée des coûts significatifs sur comment établir ce qui est important et ce qui devrait être fait par rapport à cette chose d’importance.
Donc même si sur le papier, de grandes associations de volontaires peuvent avoir la capacité à tirer parti de ressources jusqu’à ce qu’iels atteignent un accords, iels auront plus de difficultés à les déployer (et bien sûr les accords ne sont pas des choses finies mais des choses qui doivent être réévalués constamment car les conditions environnantes changent à travers le temps).
Inversement, les petits groupes sont, de manière contre-intuitive, plus efficaces dans certains domaines que les grands groupes, à achever leurs intérêts particuliers parce qu’il est plus facile pour les petits groupes de s’accorder sur quoi faire.
Mais la seule raison pour laquelle les membres de petits groupes arrivent à s’accorder est qu’ils peuvent ignorer ou minimiser les intérêts de ceux.lles à l’extérieur du groupe. Le nombre de manières possibles pour configurer le monde et la quantité d’intérêts spécifiques des individus dans ce dernier sont écrasants. Ceci ne veut pas dire qu’il est impossible de prendre en compte les considérations des autres, seulement que lorsque l’on commence à le faire, les bénéfices que les petits groupes ont à s’engager dans une action collective diminuent.
Ainsi, toute avant-garde qui essayes réellement de représenter les intérêts d’une « classe » est prise dans un piège d’incitation beaucoup plus dangereux que celui dans lequel notre prolétariat dépossédé se trouvait. Pour être capable d’agir, iels doivent minimiser les considérations des personnes qu’iels sont sensés représenter. Ceci arrivera indépendamment des motivations de l’avant-garde, qu’iels utilisent cyniquement les masses pour leur propre gain ou qu’iels soient réellement motivé.es par un sens honnête de l’abnégation.
Quelle que soit la motivation, il y a de fortes motivations à vouloir simplifier un problème pour qu’il soit plus facile à gérer.
Un exemple pratique simple : Disons que vous êtes un.e jeune révolutionnaire ambitieux.e qui réussis à renversé le gouvernement en promettant une réforme des terres. Ceci est un changement assez simple (comme nous le montre à travers l’Histoire l’exemple des paysan.nes réussissant à reprendre leurs terres à leurs seigneurs.)
Mais, ayant créé une classe de personnes qui n’ont plus de relations de dépendance et ont la capacité à produire pour elles-mêmes, vous avez maintenant un ensemble de personnes qui peuvent résister à vos décrets, si vous ne supprimez pas vos paysan.nes libéré.es, toutes nouvelles actions que vous prenez aurons à prendre en compte ces paysan.nes car maintenant iels ont une plus grande capacité à résister à vos décrets.
Et cela signifie que ce pouvoir sur les autres n’est définitivement pas une devise universelle. Quand vous avez le pouvoir il est tout simplement plus facile d’agir de manière égoïste qu’autrement. Combinez ça avec le fait qu’un plus petit nombre de personnes a toujours plus de facilité à s’accorder et vous avez un modèle simple qui explique pourquoi les différentiations de classe émergent dans une société où il y a des positions qui donnent à certaines personnes une influence significative sur les autres, même lorsque les relations de propriétés ont été changées de manière dramatique. Le problème de devoir juger et comparer les problèmes de chacun.e rends trop difficile à un individus ou à une institution de gouverner les autres en faveur d’un « intérêt de classe », que ce soit dans un projet de mener un combat contre un oppresseur ou dans un projet de vouloir organiser les choses d’une manière égalitaire après que l’oppresseur ait été vaincus.
Tout ceci sonne peut-être défaitiste. Et en effet, si vous venez d’une des traditions de la Gauche qui pense qu’il est trivial d’aller de la rationalité individuelle à la rationalité collective, tout ça c’est un peu chiant pour vos grandes théories « scientifiques » (mais si vous venez de ce genre de traditions il y a de grandes chances pour que vous ayez arrêté de lire dès que j’ai évoqué les incitations individuelles et que soyez actuellement en train de m’accuser de me laisser faire avoir par l’idéologie bourgeois ou quelque chose comme ça).
Mais juste parce que les élites ont plus de facilité à coordonner leurs actions ne veut pas dire qu’iels sont efficaces à tout ce qu’iels essayent de faire. Les mécanismes de contrôles qu’iels utilisent sont entravés par les limites aux flux d’informations / traitements d’information qui entravent les plus grands groupes. Les considérations nécessaires à appliquer pour mettre en place des changements à l’échelle des masses demanderaient la sorte de délibérations qui paralysent l’action collective dans les groupes larges. Quand les élites essayent d’affecter la société à échelle, iels sont nécessairement limité.es à des outils grossiers.
Cette tension entre la possession par la classe dirigeante de chaque société des moyens d’appliquer des changements, mais aussi le fait qu’iels soient limité.es à utiliser des outils grossiers est une « contradiction » sociale bien plus fondamentale que toutes déclarations sur l’origine de la valeur d’échanges des commodités ou autre.
Les limites au contrôle peuvent être dérivées directement des limites physiques au traitement de l’information et de ses flux. Ceci n’est pas un fait contingent particulier à un arrangement social spécifique mais quelque chose de soit fondamental à l’univers, soit très proche de cela. Ces limites ont modelées les relations de pouvoir de chaque sociétés que nous avons eu et continueront à le faire à travers le futur (les esprits artificiels ont évidemment des limites définis à travers des choses telles que la théorie de l’information).
Ces dynamiques sont d’une immense importance mais vont au-delà de la portée de ce court essais. Donc à la place je vais garder la même perspective un peu grossière afin de surligner quelques réflexions générales sur la stratégie qui surviennent lorsque l’on a conscience des problèmes d’action collective.
Le premier est que les mécanismes que nous créons afin de résoudre des problèmes d’action collective ne sont pas évidents et viennent avec des compromis. Ceci n’a peut-être pas d’importance pour des projets immédiats où les buts sont clairs et où tout le monde a une bonne perception d’où tous le monde se situe. Mais lorsque ces décisions sont prises sur le long terme, les mécanismes mises en place ont des coûts d’opportunités considérables sur comment vous allouer des ressources et réussissez un certain degrés de verrouillage car certaines formes de résolution de problèmes d’action collectives sont directement en conflit avec d’autres.
Pour donner un exemple frappant, comparez un parti de masse organisé et géré par une hiérarchie VS un réseau distribué d’individus médiés par des institutions polycentriques, une infrastructure technique décentralisée, et des normes sociales qui facilitent des formes d’organisation plus fluides. Ces systèmes ne sont pas seulement diamétralement opposés dans leurs modes opératoires, mais contiennent aussi de fortes incitations individuelles dont la fonction est d’empêcher la formation de l’autre système.
Quand un parti de masse n’existe pas et que les gens sont déjà en train de se coordonner par eux.lles-mêmes, il est difficile de justifier la création d’un parti pour des buts de coordination / communication.
Inversement, la sorte de bénéfices qui vient avec le fait de construire des modes de relations en réseaux prends du temps et de l’effort à construire et ceux.lles qui ont accès à des structures centralisées pourraient voir ce genre d’efforts comme inutiles quand iels peuvent simplement aller s’adresser aux structures centralisées pour répondre à leurs besoins.
Ces compromis sont exacerbés par le fait qu’il n’y a pas d’approche universellement efficace pour résoudre tous les problèmes d’action collective – les approches centralisées et décentralisées ont toutes les deux leurs forces et leurs faiblesses.
Comprendre les faiblesses ou vulnérabilités des approches décentralisées est vitale. Le fait que j’admette que la centralisation et la hiérarchie ont un avantage comparatif dans certains domaines ne veut en aucun cas dire que je les vois comme des solutions à long-terme.
La centralisation peut être optimale pour une tache spécifique mais le problème de la réorganisation d’individus une fois la tache complétée est un problème sérieux. Le changement social est fondamentalement un processus ouvert et itératif. Augmenter la liberté des individus veut nécessairement dire créer de nouvelles dynamiques et cela veut dire de nouveaux problèmes d’action collective à résoudre et cela pourrait demander une restructuration significative à gérer. Ceci ne peut pas être réduit à un problème technique.
Oui il y a beaucoup de processus non-nécessaires dans notre présente société qui existent afin de siphonner des ressources vers les élites ou de supprimer l’autonomie d’individus qui, s’ils étaient effacés simplifierait les choses. Mais dans l’analyse finale, de nouvelles possibilités signifient de nouvelles opportunités et problèmes.
Après tout, un monde plus libre est un monde avec plus d’options générales, un monde où des individus gagnent plus d’habilité à se reconfigurer, eux.lles ou le monde, ou leurs relations à l’intérieur de celui-ci. Il est évident que ceci est bien mais nous ne devrions jamais prétendre qu’un tel monde ne créera pas de nouveaux problèmes.
Le fait qu’un changement radical amènera des conséquences imprévues est un argument fondamental du conservatisme. Mais il y a beaucoup de manières de changer le monde.
Les approches ascendantes (bottom-up) qui voient des individus négocier les un.es avec les autres au lieu d’avoir des changements imposés sur eux.lles par une entité extérieure sont radicalement différentes précisément parce que les approches ascendantes permettent une approche plus granulaire où des individus négocient entre eux.lles plutôt que d’avoir à s’appuyer sur des décrets catégorique par au-dessus (ces approches de négociation ascendante peuvent également tourner au vinaigre mais elles échappent aux résultats horribles auxquelles les approches descendantes sont prônes). De plus, l’expérimentation ascendante permet de cartographier le possible en avance, permettant à des individus d’identifier les modes de défaillance et les bénéfices inattendus à l’avance.
Ainsi accorder nos fins avec nos moyens n’est pas seulement vertueux, il y a également une valeur instrumentale dans le fait de nous laisser sonder, évaluer et construire une variété de mécanismes de résolutions des problèmes d’action collective de manière plus dynamique et ouverte.
Les méthodes ascendantes nous permettent également de minimiser le retour de bâton réactionnaire ou l’opportunisme. Un avantage clair des formes hiérarchiques est qu’elles peuvent être déployées plus rapidement. Les relations de dominations soutenues par une incitation forcée, la force, peuvent être imposées sur les gens facilement.
Des modes plus organiques de relation demandent des solutions plus complexes et celles-ci prennent juste plus de temps à construire et à populariser. Quand les choses partent en sucette et les gens ne sont pas sûr de s’il y aura un lendemain, il est parfaitement rationnel de saisir des solutions hiérarchiques aux problèmes d’action collective pour survivre, même si cela réduit les options pour le futur.
Tout ceci fait parti du bon-sens anarchiste à différente degrés. Mais il y a de la valeur à ne pas seulement énoncer l’évident, mais aussi montrer comment des cadres théoriques formels peuvent le supporter. Être capable de formaliser ses intuitions permet de mieux les expliquer à ceux.lles qui ne partagent pas ces hypothèses, ainsi que de pouvoir étendre ces perspectives au-delà de l’immédiat, d’identifier les domaines où elles s’effondrent.
Car peu importe à quel point les limites de l’action collective tiennent au bon sens, elles restent insuffisamment soulignées quand on observe les tentatives de formalisation du capitalisme et des structures de domination plus généralement (Kevin Carson mérite beaucoup de reconnaissance pour avoir fait le travail de présenter un compte rendu du capitalisme qui place les problèmes d’action collective en son centre). Ceci est particulièrement frustrant car à travers l’histoire, on voit encore et encore comment les limites au contrôle affectent la manière qu’ont les sociétés d’opérer et la technologie de se développer – des premiers états imposants aux paysan.nes des grains qui seraient plus faciles à superviser au détriment du ratio nutrition-par-heure-de-labeur-attendus, aux capitalistes sélectionnant des technologies productives qui priorisent le contrôle sur les travailleur.euses au détriment de l’efficacité de production.
Les gauchistes admettront parfois que c’est quelque chose qui arrive, mais en dehors de Carson, il n’y a pas de réelles tentatives de construire des théories du capitalisme qui placent ce fait en leur centre. Voyez par exemple en 2015 quand feu-David Graeber admettait que « La droite au moins a une critique de la bureaucratie, ce n’est pas une bonne critique. Mais au moins elle existe, la gauche n’en a pas. » Un tel aveu témoigne bien du fait que les anticapitalistes ont mal gérés ce front-là.
Il y a un immense coût d’opportunité à échouer à intégrer et populariser de tels cadres. Je pense sérieusement que l’échec des gauchistes à comprendre les problèmes d’action collective a été un obstacle du même acabit que toutes les armées, infrastructures, institutions et propagandes qui maintiennent le status quo. Et même, il pourrait s’agir d’un plus grand échec car les systèmes qui maintiennent le pouvoir en place font aussi face à leurs propres problèmes internes d’action collective.
Les problèmes d’action collective coupent dans les deux sens et compliquent ainsi toutes tentatives d’accroitre et d’écraser la liberté.
Il y a un million de raisons pour la défaite des mouvements anticapitalistes du dernière siècle(la pub, les lieux de travail post-fordiste, les chaînes logistiques globales, les think tanks néolibéraux, le consumérisme, etc) Et oui toutes ces choses ont certainement impactées la situation mais le simple fait que l’action collective est difficile devrait être l’Hypothèse Nulle sur pourquoi toutes les tentatives pour changer les choses échouent ou ont pour résultat des conséquences inattendues (ainsi que pourquoi des régimes autoritaires ou des mouvements font des erreurs critiques, par exemple !). Essayer de changer les choses c’est déjà difficile, mais c’est encore plus dur lorsque l’on se tire une balle dans le pieds en choisissant de mauvais modèles du monde qui promettent des choses qui n’arrivent jamais.