Pour une écologie libérale
The following article is translated into French from the English original, written by Grant Mincy.

L’utilité industrielle

Dans les vastes plaines arides du Bassin Arckaringa, en Australie, a eu lieu une découverte majeure d’huile de schiste. Linc Energy a découvert sur 6,5 millions d’hectares de terrain environ 133 – 233 milliards de barils d’huile de schiste situés sous la lithologie de la région. Peu importe le volume d’huile accessible via la technologie moderne, cette découverte est sûre d’être évaluée à plusieurs milliards de milliards, vu la valeur actuelle du marché. Peter Bond, chef de la direction de Linc Energy, met sur le marché un dépôt qui a le potentiel de transformer toute l’industrie. C’est une découverte incroyable avec des conséquences considérables.

L’huile est hautement recherchée comme produit de base, car elle alimente une grande partie de l’économie des pays développés – ainsi que d’autres ressources fossiles comme le charbon. Le financement de cette découverte va attirer de nombreux investisseurs. Il y a beaucoup d’argent à faire, et les gros volumes induits par cette découverte pointent vers une production de ressources sur le long terme. Ceci a aussi des implications majeures pour l’économie de cette région. La production va faire monter la demande de travailleurs, quels que soient leur niveau de compétence et leur formation.

L’importance de cette découverte va sûrement impliquer l’Australie dans le dernier boom énergétique : l’énergie de schiste. Répandues partout à travers les États-Unis et le Canada, ces réserves de schiste géantes sont exploitées, augmentant la production énergétique domestique et causant des booms économiques à travers les régions concernées. Cependant, là où il y a boom, une explosion de bulle est sûre de suivre – particulièrement quand de grosses subventions publiques sont nécessaires pour maintenir le boom. Les bulles artificielles explosent toujours. Pour cette raison, nombre de citoyens protestent contre la spéculation sur l’énergie de schiste.

L’énergie de schiste n’est pas suffisamment productive pour être rentable, c’est pourquoi les États ont commencé à subventionner lourdement l’extraction de gaz naturel. Il est vrai que la bulle de schiste a fait baisser les coûts de l’énergie sur le court terme, mais c’est parce que les prêteurs, investisseurs et subventions publiques ont fait baisser les prix pour les consommateurs – les (pas si) gros investisseurs secrets dans l’énergie de schiste sont les contribuables. À propos de la création d’emplois, il est important de noter que les opportunités à haut salaire sont réservées aux emplois spécialisés. La majorité des emplois créés sont des emplois à bas salaire – conducteurs de camions, gestionnaires de puits etc. Quand la bulle de schiste explosera, comme toujours, les travailleurs à bas revenus et la classe moyenne devront porter sur leurs épaules les conséquences économiques. Les bénéfices iront aux investisseurs tandis que la collectivité devra faire avec le crash économique et les marchés conquis qui suivent la production.

Il existe aussi un mouvement environnemental contestant la production de gaz de schiste. Ce mouvement est décrié par de nombreux libéraux. À juste titre puisque beaucoup d’écologistes connus voudraient utiliser la coercition de l’État pour interférer sur les contrats volontaires et les droits des individus de décider ce qu’ils souhaitent faire avec leur terrain. Cependant, il y a également des raisons libérales de s’opposer à une telle activité industrielle – telles que les lois d’obligation à la mise en commun et le très puissant droit d’expropriation pour cause publique. Par exemple, Michael Hinrichs, directeur des affaires publiques pour le Jordan Cove Energy Project et le Pacific Connecter Gas Pipeline, a déclaré que “l’expropriation pour cause publique” n’était pas sa méthode préférée pour obtenir les droits d’exploitation, ajoutant : “Nous préférerions arriver à un accord équitable avec les propriétaires.” C’est très noble de la part d’une société que d’utiliser la force coercitive après qu’elle ait échoué à conclure l’accord qu’elle souhaitait avec les propriétaires des terrains. Tout libéral devrait savoir que l’expropriation pour domaine public est une violation conséquente des droits de propriété. Les lois d’obligation à la mise en commun sont tout autant intrusives.

Avec l’extraction de gaz viennent la construction de routes et de puits, les nuisances sonores et la pollution de l’air, l’augmentation des brouillards, l’augmentation de la pollution des eaux ainsi que les camions citernes géants utilisés pour le transport de larges volumes d’eau fraîche pour la fracturation hydraulique et le transport des ressources récupérées. Dans cette région aride d’Australie, la paisible vie sauvage sera bientôt industrialisée pour l’obtention de cette ressource, de la même manière que les terres rurales des États-Unis et du Canada ont été industrialisées. C’est bien sûr vrai pour toutes les industries d’extraction – que ce soit le minage de charbon dans les Appalaches (chaîne de montagne), les puits à ciel ouvert du grand ouest ou les larges récoltes de bois dans le pacifique nord-ouest (pour donner quelques exemples).

Bien sûr, il serait irresponsable de demander l’arrêt de toute production d’énergie fossile du jour au lendemain. Aucun écologiste responsable ne demanderait une telle chose, notre infrastructure ne tiendrait pas la route. Le principal argument avancé par les services publics est que financer des infrastructures “vertes” serait aussi irresponsable car cela impacterait énormément les foyers à faible revenus. Il y a cependant une raison d’encourager le libre marché où le travail humain, créatif, pourrait mener à une économie de transition. Car si nous vivions dans un système de marché (vraiment) libre, sans intervention de l’État, les industries fossiles, modernes et centralisées crouleraient sousd’énormes coûts. Sans implication fédérale dans les marchés de l’énergie, les entreprises d’énergies fossiles (parmi les plus grosses sociétés du monde) se concentreraient plutôt sur la création de modèles d’énergies nouvelles, ainsi que la mutualisation des risques internes pour examiner des alternatives aux projets à hauts risques.

En d’autres termes, sans la complicité de l’État, nous aurions développé une approche respectueuse de l’écosystème pour la gestion des ressources naturelles, grâce à la collaboration adaptative et en nous appuyant sur les ressources locales. Dans cet essai en trois parties, je vais explorer ces opportunités en vue de proposer un modèle libéral pour l’environnement et expliquer pourquoi ceux qui se déclarent libéraux devraient s’engager dans le mouvement écologiste.

Jefferson plutôt qu’Hamilton

Le mouvement libéral dominant aux États-Unis lie son idéalisme aux fondateurs du gouvernement originel. Beaucoup dans le mouvement promeuvent les droits individuels, un État de petite taille et au pouvoir limité, une représentation constitutionnelle et un libéralisme classique. À l’époque de la création du gouvernement des États-Unis, de nombreux débats et désaccords ont divisé les fondateurs, mais sans aucun doute, le plus intéressant a eu lieu entre Thomas Jefferson et Alexander Hamilton.

Du point de vue d’Hamilton, il était irresponsable de placer un contrôle démocratique entre les mains du peuple. Hamilton ainsi que d’autres fédéralistes pensaient que le pays devait être géré par la classe économique dirigeante – l’élite, les éduqués et les privilégiés. Le fédéraliste John Pay déclara même : “Ceux qui possèdent le pays doivent le gouverner.” Ils étaient en faveur d’un État fédéral puissant, une interprétation large de la constitution et mettaient l’unité nationale au-dessus de l’individualisme et des droits des États. Leur modèle économique était bien sûr planifié centralement, avec une règlementation stricte de l’économie par l’État (la première banque nationale – qui sera plus tard dissoute – avait été ainsi établie par Hamilton).

Jefferson était tout le contraire et est aujourd’hui le favori du mouvement US pour la liberté. Jefferson croyait qu’un public informé était apte à prendre des décisions sages dans l’intérêt national. Il était en faveur d’un État plus ouvert et démocratique, et était plutôt défavorable à l’idée que l’élite devait diriger. Pour les États-Unis, il prônait un idéalisme respectueux de la nature et du voisinage et défendait les droits des États par dessus les droits fédéraux, tout en plaidant une interprétation stricte de la constitution.

Je pense que Thomas Jefferson avait raison (même si je n’hésite pas à rappeler que Jefferson lui-même était membre de l’élite et était plutôt hypocrite en de nombreux points de vue à propos de ses pensées sur la liberté). En tant que libertarien, je crois que dans une société vraiment libre, nous devrions tous être les propriétaires de nos terrains ; en tant que libéral de gauche, je crois qu’une partie de ces terrains pourrait être possédée par plusieurs. Je soutiens les idées d’indépendance et d’autonomie préférables au fait d’être sujet des désirs et demandes des grandes institutions bureaucratiques. C’est l’opposé d’être un homme libre que d’être dépendant d’une institution centralisée. Selon moi, Jefferson avait davantage raison que Hamilton – et je voudrais insister sur ce pourquoi il se battait : l’État dont la nature est d’être dirigé par la communauté.

Au-delà de Jefferson

Comme Thomas Jefferson, le transcendantaliste Henry David Thoreau idéalisait une approche communautaire de la vie et de l’économie respectueuse de la nature. Thoreau, un anarchiste agraire, était aussi un grand défenseur de l’individualisme, comme on peut le constater dans Résistance au gouvernement civil :

Le meilleur des gouvernements est celui qui ne gouverne pas du tout ; et quand les Hommes seront prêts, ce sera le type de gouvernement qu’ils auront.

Du 20ème au 21ème siècle, de nombreux autres penseurs libéraux ont défendu une approche des structures sociales et économiques plus naturelles, en insistant sur l’individualisme et son rôle dans les communautés. Wendell Berry me vient à l’esprit. Berry, un agrarien du Kentucky, a toujours été méfiant vis-à-vis de l’État et s’est longtemps battu contre le pouvoir central – particulièrement au regard du minage de charbon dans les Appalaches et l’agriculture industrielle. Il critique sans réserve les grosses subventions publiques que l’industrie reçoit et comment ces industries créent un divorce entre les hommes et leur héritage culturel et national. DansThe Long-Legged House, Berry écrit :

Puisqu’il n’y a pas de gouvernement dont les intérêts ou la discipline sont d’abord la santé des ménages et de la planète, puisque c’est dans la nature de tout État que d’être d’abord concerné par sa propre survie et ensuite seulement par la maitrise des dépenses, la réponse sûre et claire au vu des circonstances morales n’est pas la loi mais la conscience. Le plus grand comportement moral n’est pas l’obéissance à la loi, mais l’obéissance à une conscience éclairée en dépit de la loi. »

Edward Abbey est peut-être l’une des voix les plus négligées du mouvement moderne pour la liberté. Abbey est un écologiste, mais aussi un anarchiste. En 1989, il écrit :

L’anarchisme n’est pas une fable romantique mais la réalisation réaliste, fondée sur cinq mille ans d’expérience, que nous ne pouvons pas donner en toute confiance la gestion de nos vies aux rois, prêtres, politiciens, généraux et aux élus… L’anarchisme est fondé sur l’observation que puisque peu d’hommes sont suffisamment sages pour se diriger eux-mêmes, encore moins sont suffisamment sages pour diriger les autres. Un patriote doit toujours être prêt à défendre son pays contre son gouvernement.

Pour Abbey, l’horizon d’un pays n’est pas le nationalisme mais une absence d’allégeance en rupture avec l’État – ou toute autre institution. Selon lui, dans toutes les hiérarchies développées, plus une institution se développe, plus elle devient oppressive. Abbey s’est fait l’avocat d’un pays composé d’une nature sauvage et d’endroits non encore exploités pour la consommation. Il croit en l’existence d’expériences “sauvages” et “pures” pour tous ici bas, et pense que nous empêcher, ainsi que les générations futures, d’y avoir droit serait une terrible tragédie. Abbey considère aussi que la communauté et – plus important encore – le rôle de l’individu dans la communauté sont essentiels. Bien qu’il ait une grande méfiance à l’égard des institutions, il croit fortement en la famille, l’amitié, la camaraderie et le travail humain. Pour lui, “l’Amérique” n’est pas l’État ou l’activité économique sanctionnée par le gouvernement. C’est plutôt la terre, les espaces sauvages, ses individus et ses communautés.

Dans “Outils pour démanteler l’État”, Karl Hess partage aussi cette conception. Dans cette conférence, Hess déclare : “pour vraiment aimer votre pays, vous devez abhorrer la nation”. Pour les libertariens, l’État est une force extérieure. Il pèse sur notre travail de création, il souhaite règlementer l’ordre spontané des marchés et veut imposer son autorité sur tous les aspects de la liberté. En tant qu’écologiste et libertarien, je vois aussi son intrusion dans la nature et dans nos larges espaces sauvages.

Au-delà de sa mainmise sur les “terres publiques”, l’État fédéral prend également en charge les institutions financières et les multinationales. Lorsque l’État “gère les terres publiques” (lire “autorise la propriété publique à être utilisée par l’industrie”), il soutient aussi la consommation. Les logos des sociétés sont bien connus à travers les États (et le monde pour ce que ça compte). Bien moins de gens savent identifier des pierres, des arbres ou des plantes locales –  la ressource principale dont dépend notre survie. Cela nous libère-t-il ? Je dirais que non. Je prétends qu’il s’agit d’un formatage, d’un consentement fabriqué et que nous sommes manipulés. Je crois que dans la configuration d’un véritable marché libre, il y aurait davantage de préoccupations pour les endroits sauvages, le vécu et le temps libre et moins d’accent mis sur la consommation, la dette et le matérialisme. Nous prendrions bien plus soin du pays dans une société libérée.

L’environnement et l’État

C’est un sentiment répandu parmi les libéraux qu’on ne peut être libéral et écologiste parce que l’écologie nécessite l’intervention de l’État. Je ne pense pas que ce soit le cas ; je prétends au contraire que le libéralisme devrait prendre part au mouvement écologiste, et que le mouvement écologiste a besoin d’adopter les idées libérales.

Je commencerai avec le Service National des Forêts et le Service National des Parcs (les chouchous des écologistes et de nombreux Américains) car ils sont malheureusement soumis à une forte influence d’intérêts commerciaux. Les concessions dans les parcs, les hébergements hôteliers, les bûcherons, les pêcheurs et les mineurs dans les forêts nationales, tous empiètent sur nos espaces naturels – ce que ces institutions sont censées protéger. Bien que les domaines forestiers et les parcs nationaux soient défendus comme des refuges pour la faune (et c’est bien compréhensible puisqu’ils constituent le meilleur espoir pour la préservation de la vie sauvage dans ce pays), les écologistes oublient quelque chose à propos de ces “havres de paix” : la tendance à construire des installations et des routes dans les parcs et d’ouvrir nos forêts à l’exploitation industrielle et commerciale.

Les écologistes sont souvent en désaccord avec l’État. Il y a un processus continu de compromis entre les écologistes, les grandes entreprises et les tribunaux de l’État qui se traduit par un empiétement toujours plus grand de nos espaces sauvages. Chaque fois que l’industrie obtient une nouvelle parcelle du paysage, c’est parce que les écologistes ont dû sacrifier des terres ou des eaux dont ils prenaient soin au nom du compromis. L’État et l’industrie sacrifient continuellement des espaces naturels pour le développement et l’alimentation de notre consommation, ce qui rend nécessaire pour l’État et l’industrie de sacrifier encore plus de zones naturelles. En résumé, quoi qu’ait fait l’État pour préserver des espaces naturels, il a fait bien plus pour aider l’industrie à les exploiter.

La plus grande menace pour notre environnement est-elle la production/l’extraction/l’utilisation d’énergies fossiles ? Les politiciens semblent se concentrer sur la consommation d’énergie, sur le territoire national comme à l’étranger, comme raison pour défendre les industries “vertes”. Ce qui est souvent négligé dans ce débat est la guerre. La guerre est menée par les États, pour les États. La guerre est utilisée pour étendre le pouvoir de l’État et obtenir plus de ressources naturelles. La guerre est la santé de l’État et la guerre est dépendante de l’extraction d’énergies fossiles – qu’importe que les terres qui contiennent ces ressources soient chéries, sacrées, en voie de disparition. Toute intervention étatique en faveur de l’environnement échouera en comparaison du désir des États pour la guerre. Pour les libéraux, défendre l’environnement aidera à renforcer le mouvement contre l’État.

Les écologistes étatistes agissent à courte vue pour de nombreuses raisons, la principale étant sans doute leur dépendance à la bureaucratie. La bureaucratie est invincible – qu’importent les mensonges de l’exécutif. Donner aux bureaucrates le pouvoir de gérer nos ressources naturelles ne fera qu’empirer les choses puisque l’État ne veut le bien que d’une seule chose : l’État. Les plus grands obstacles que les écologistes doivent dépasser sont des obstacles publics – c’est pourquoi le combat anti-réglementation est devenue un impératif pour le mouvement écologiste. Le processus pour obtenir une autorisation d’exploitation de ressources fossiles, la faiblesse de la législation environnementale (souvent interprétée suivant les caprices de l’élu du moment) et les montagnes de paperasses administratives visent les projets de grandes industries, et servent uniquement au final les intérêts de ces grandes industries. Le combat contre la réglementation est une tactique efficace car, lorsque les membres de ces communautés apprennent la loi, ils peuvent commencer à en ralentir le processus. Les États désirent centraliser le pouvoir et l’activité économique, et non décentraliser le pouvoir au sein des communautés ou des mouvements sociaux. L’action directe, les communautés spontanées et les poursuites judiciaires servent toutes à défier l’autorité de l’État, cette bureaucratie qui devrait être déchirée en morceaux, non renforcée.

Les écologistes devraient abandonner les actions étatiques et se convertir à l’écologie de marché, dans la mesure où les mouvements sociaux sont adaptés aux marchés. Dans un marché libre, les grandes régions sauvages seraient réellement protégées parce que l’industrie n’aurait pas la possibilité de les exploiter. Les libéraux devraient soutenir l’écologie parce que la véritable protection de l’environnement empêcherait le monopole de l’État sur la monnaie et la violence.

Le “Green Washing”

L’une des meilleures façons de construire une société docile pour l’État passe par la propagande et la consommation. C’est là que le “green washing” débarque. Pour le décrire simplement, le “green washing” est une forme de manipulation fondée sur un marketing “vert”, utilisé de façon trompeuse par une organisation (y compris l’État) pour faire croire que sa politique, ses produits ou ses objectifs sont bons pour l’environnement. Bien que quelques organisations agissent pour le bien de l’environnement, la plupart du temps nos institutions offrent de fausses solutions, qui ont pour objectif la consommation et sont juste une manière de donner l’impression que certains intérêts particuliers sont bons et qu’ils prennent soin de notre argent.

De Wall Street à Capitol Hill, tout le monde trempe dans le green washing. Financiers, publicitaires et régulateurs offrent leurs solutions à la crise écologique et énergétique sous la forme du “capitalisme vert”. Pour donner un exemple, le grand coup de pouce étatique aux voitures électriques stimule en fait la consommation de carburantet les émissions, tout en ignorant que ces voitures devront être branchées sur le réseau électrique qui est alimenté au charbon. Bien sûr, les biens de consommation sont alimentées par l’industrie des combustibles fossiles : iPods, stations de jeux, ordinateurs, télévisions sont utilisés pour créer des désirs au lieu de construire des relations, apprendre, aimer l’aventure. Seuls de véritables marchés libres, des organisations populaires et des mouvements sociaux démocratiques peuvent nous faire aller de l’avant – l’État et l’industrie sont juste en train d’essayer de vendre quelque chose.

Les libéraux écologistes devraient faire part de leurs inquiétudes à propos de ces activités et ils devraient certainement cesser d’appeler l’État à soutenir ces industries. Les libéraux devraient aussi attirer l’attention sur les problèmes moraux de notre modèle social écologiquement destructeur, fondé sur la consommation. En tant qu’être humain, pourquoi sommes-nous sujet à ça ? La richesse et la réussite dans la vie ne viennent pas de l’argent gagné et dépensé dans des biens matériels : nos vies ne sont pas plus riches parce que nous possédons le dernier gadget électronique entre nos mains. Ce qui rend la vie digne d’être vécue sont nos relations personnelles avec d’autres être humains, les arts, nos progrès scientifiques, une société décente (NdT : intraduisible), nos communautés, un environnement sain et encore bien d’autres choses, expériences, qui ne peuvent avoir de prix.

L’État soutient, idolâtre et cherche à maintenir ce système économique et industriel fondé sur la consommation. De la politique monétaire au capitalisme de connivence, l’intervention de l’État sur les marchés vise à engendrer le plus possible d’activités économiques. L’État défend la croissance économique, peu importe le coût ; il encourage le consumérisme et la dette plutôt que le travail et l’épargne. Notre culture de consommateurs sans aucun sens est faite de besoins artificiels et de désirs construits pour notre consommation. Toute tactique adoptée par les écologistes qui donnerait davantage de pouvoir aux institutions centralisées ne sera pas une solution ; au contraire, ça ne fera qu’exacerber le problème.

Au lieu de chercher de fausses solutions, les libéraux et les écologistes devraient promouvoir de véritables marchés libres, qui sont la seule vraie forme de marché capable de créer une économie solidaire, lorsque les petits producteurs peuvent travailler ensemble pour développer leurs productions et se concurrencer dans un marché ouvert. Au-delà des solutions faussement “vertes”, les marchés permettront des systèmes d’économie durable et de commerce équitable.

Marketer la vie est une autre manière de la détruire. Notre société de consommation nous vole nos qualités d’êtres humains, notre liberté, notre indépendance, notre travail et notre intégrité en tant qu’êtres doués de sensation. Nous devrions nous libérer de ce comportement.

La dimension humaine, la connexion aux lieux et le rôle des lieux

L’approche libérale de l’écologie peut être aussi défendue en étudiant le sentiment d’appartenance et l’attachement à un lieu. Être relié à une terre, ou à une quelconque partie de la nature, peut être très puissant. Wendell Berry décrit cela beaucoup mieux dans son histoire “Mat Feltners World”, lorsqu’il évoque un vieux fermier et sa terre. Il écrit :

Alors que nous regardons Mat s’appuyer contre l’arbre, nous ressentons à quel point il est en symbiose avec celui-ci. Ils sont tous deux devenus âmes-sœurs, égaux en âge, et arrivent finalement au même point. Par la vie qu’il a vécue, debout face à la lumière, Mat aussi s’est tenu “en dehors des bois.” Tout comme le noyer a abandonné ses noix, Mat s’est donné librement, nourrissant la terre et donnant naissance à une nouvelle vie. Comme l’arbre, Mat s’est enraciné profondément et durablement.

Cette citation “Mat s’est enraciné profondément et durablement” en dit long à propos de l’attachement que les gens ont envers un lieu. Le sentiment d’appartenance peut ressembler à un tas de choses : des souvenirs de la famille et des amis, l’avènement de l’âge, la consolation, le confort, etc. Le concept d’un être humain durablement enraciné et connecté à un terrain reflète les profondes obligations qui lie l’Homme à la Terre. Dans la plupart des cas, le respect pour la terre où l’on vit s’ajoute à l’importance de l’attachement au lieu. Souvent les gens assimilent leurs terres à leur héritage. Parfois, les gens vivent sur des terres détenues par leur famille depuis des générations, liant les gens à leurs terres à travers une tradition culturelle et une histoire unique. Enfin, des avantages économiques, une fierté et une relation morale et spirituelle avec la terre sont une expérience vécue par de nombreuses personnes.

Le respect pour la terre est une demande d’attachement à un lieu ; en outre, les pratiques durables d’usage de la terre, avec la participation de la communauté dans le processus d’aménagement du territoire, croissent en importance. L’usage de la terre utilise autant le domaine public que le domaine privé de nos institutions, créant de nouvelles visions de nos paysages. Si elles sont favorisées, les connexions à un lieu évolueront positivement au profit des individus, des communautés et des espaces naturels. Dans un contexte de marché libre, en l’absence de forces coercitives, le respect pour la terre et les gens qui y sont attachés maximisera les avantages pour l’environnement et les gens. Dans un monde en constante évolution, ces dimensions humaines sont de plus en plus nécessaires à la politique, à la résolution de conflits et à la réalisation d’un monde plus juste et durable.

Il est important pour les libéraux de réaliser à quel point ces connexions sont profondes. Le patrimoine culturel est directement lié à la terre. Il suffit d’observer les Appalaches ou Cascadia : dans les vallées de ces montagnes majestueuses se trouve un patrimoine culturel très profond qui transcende les frontières politiques – celui-ci trouve sa source dans le patrimoine naturel. Des champs de charbon des Appalaches aux dures forêts des Cascades, les gens ont condamné la destruction de ce patrimoine culturel, que ce soit par les exploitations minières ou l’industrie du bois. Les gens ont parfaitement raison de se soulever, puisqu’ils voient leur patrimoine naturel et leur travail tournés en outils de productions et objets divers, et ne se voient plus eux-mêmes en êtres-humains indépendants dans leur environnement naturel.

À propos de ces connexions, il faut revenir sur une critique récurrente envers le mouvement écologiste, ou plutôt les “extrémistes” environnementaux. J’ai écrit auparavant à propos de la répression gouvernementale sur les groupes “verts” dans cette ère de la surveillance d’État. Dans d’autres articles j’ai défendu les actions directes des gens protestant contre la construction de Keystone XL, la fracturation hydrauliquele minage de charbon en surfaceles hausses de taux et bon nombre d’autres problèmes environnementaux. Ces vues ont toutes suscité des critiques parmi les libéraux, mais il me semble que le libéral de gauche que je suis l’emporte malgré tout.

Certes, tout libéral accepte qu’un individu est justifié moralement à la résistance physique lors de l’invasion d’une propriété privée ou d’une atteinte contre l’un de ses proches. Protéger sa propriété et résister à la violence (n’utiliser la force que lorsqu’elle est provoquée) est un principe fondamental de liberté. Le libertarien affirme souvent que cela justifie l’existence unique de la propriété privée, et qu’un “bien commun” n’existerait pas dans une société libertarienne parce que les propriétés communes défient la nature humaine. Les liens à la terre et les patrimoines naturel et culturel montrent bien qu’il n’en est rien. L’individualisme et le collectivisme procèdent tout deux de la nature humaine et peuvent (et devraient) exister pacifiquement dans une société libre.

Ainsi, quand une partie de ces biens communs, un endroit que l’on aime, peu importe le paysage (montagne, forêt, désert, rivière, côtes…), est envahie par des mineurs, bûcherons, plateformes de gaz, digues, routes et pipelines – et quand le recours légal fait ce qu’il fait le mieux : protéger les droits acquis – alors il est moralement justifié d’entrer en dissidence. Il est moralement justifié d’utiliser son propre corps pour empêcher la construction, de pratiquer la désobéissance civile et d’utiliser des tactiques illégales pour préserver les terres. Les tribunaux continueront d’échouer tandis que l’action directe est nécessaire pour protester contre les actions criminelles de l’État et des sociétés. L’action directe rend l’invasion industrielle et étatique de la propriété privée et des espaces sauvages (ou autres) d’autant plus onéreuses pour les institutions concernées, d’autant plus difficiles à mettre en œuvre car tout nouveau projet sera davantage étudié avant d’être validé. C’est pourquoi ces actions sont si importantes, et pourquoi des gens comme Tim De Christopher en réalisent.

Si chacun préfère ne pas désobéir et toujours respecter la loi, alors mener de telles actions est, en soi, un choix moral. Il y a de grandes conséquences à attendre d’un tel choix. Comme Berry et Abbey le notent, la désobéissance à la loi civile pourrait bien être une obéissance à une loi morale bien plus élevée.

Les mouvements sociaux et la transition

Le mouvement écologiste est un vaste mouvementmondial, engagé dans de nombreux combats. Les sujets sont vastes et d’envergure mondiale comme la lutte contrele changement climatique, d’envergure nationale comme la lutte contre l’implantation du pipeline Keystone XL, et d’envergure locale comme la lutte contre la construction de routes. Avec tant de luttes en cours, quiconque se sent concerné peut contribuer au combat pour défendre et protéger la cause qui lui tient à cœur, par tous les moyens acceptables d’un point de vue individuel. Personnellement, je vis dans les Appalaches, je suis impliqué dans de nombreux mouvements sociaux qui tentent d’arrêter l’extraction minière à ciel ouvert, le déclin des espèces, la déformation des paysages et l’endiguement des rivières.

Les mouvements sociaux et les organisations grass-roots, couplés aux marchés libres, sont extrêmement importants car la structure et la nature profonde des grandes institutions est de faire ressortir le pire chez les gens – qu’il s’agisse d’institutions publiques ou privées. Ils sont tout-puissants et la collusion de l’État avec l’industrie des énergies fossiles est terriblement dangereuse pour les gens qui tiennent à leur patrimoine naturel et culturel. Si les individus ont un problème avec ce qui arrive où ils vivent, ils ont droit à l’action civile et à la désobéissance.

Mais, qu’en est-il des marchés libres ? Contrairement à une croyance populaire au sein des écologistes étatistes, si les marchés étaient libérés, l’industrie des énergies fossiles ne gagnerait pas tous les droits à polluer. Au contraire, dans un marché radicalement libre, des économies de transition se développeraient et une approche de la gestion des ressources plus collaborative et adaptative, respectueuse de l’écosystème, émergerait (simplement parce que l’industrie est bien trop coûteuse pour opérer sans d’énormes subventions). Seule l’absence d’institution centralisée rendrait ça possible.

Mais à quoi un tel système pourrait-il ressembler ? Il est impossible de savoir avec certitude comment un tel système peut être géré lorsque les formes sociales de marché sont spontanées ; mais quelques arguments peuvent être avancés sur ce qui pourrait arriver. Les dimensions humaines dans la gestion des ressources seraient de plus en plus importantes tandis que la redistribution du pouvoir des agences de ressources vers les communautés qu’elles servent aurait tendance à croître. Ces aspects humains seraient source de débats et d’échanges honnêtes entre les professionnels, les parties prenantes et les membres de la communauté affectés par les politiques de gestion. Ces approches occasionneraient une collaboration entre les agences et les gens, autrement dit une prise de décision démocratique. Impliquer les citoyens tout en favorisant les échanges publics et le débat raisonné conduirait au consensus et rendrait légitimes les décisions de gestion. Un tel processus public permettrait d’éviter la prise de contrôle d’une agence, tout en favorisant la représentation des attentes des gens, et non les intérêts de nos institutions ou de l’industrie.

La collaboration adaptative pourrait alimenter la transition. La gestion par la collaboration adaptative (GCA) est un modèle de résolution de conflit développé pour résoudre des problèmes complexes nécessitant une action collective. Dépassant les points de vue personnels, ce style de gestion convie la science, la politique et les intérêts sous-jacents à s’unir pour clore les conflits. La GCA vise à développer des résolutions bénéfiques à tout les points de vue. Bien que ces résolutions nécessitent de relever de vrais défis, il est de plus en plus évident que les défis auxquels nous faisons face au 21ème siècle requièrent une action collective. Ces défis nécessitent que des idéologies en opposition fassent des compromis difficiles en vue de solutions durables. La GCA est un instrument efficace pour amener des intérêts divergents à prendre ensemble des décisions difficiles. La collaboration adaptative est une approche beaucoup plus démocratique de la résolution de conflits, contrairement à l’approche bureaucratique fondée sur une vision “top down”.

La GCA peut être décrite comme un modèle simple, composé de quatre niveaux. À mesure que les participants déroulent le modèle, chaque niveau est conçu pour éviter le conflit et promouvoir le compromis entre les différentes parties qui s’opposent. Le modèle se présente comme suit : la GCA identifie d’abord le sujet du conflit, puis pourquoi il existe, pour demander ensuite aux individus de développer des options pour un plan d’action, pour finalement établir un plan d’action en vue d’en finir potentiellement avec le conflit. Déterminer sur quoi porte le conflit conduit chaque partie à exprimer son point de vue et ses préoccupations. Cela permet à tous les membres du processus GCA de présenter leurs positions tout en permettant aux intérêts, aux motivations et aux sentiments d’être entendus par le groupe entier. Le fondement de la collaboration est obtenu en discutant des raisons de l’existence du conflit. Tout d’abord, ce processus appelle à se concentrer sur le problème tout en tenant compte de tous les intérêts sous-jacents. Ceci permet ensuite aux participants d’examiner et de comprendre les liens émotionnels de toutes les parties concernées, et d’humaniser les arguments. Tandis qu’on examine les différents points de vue, les parties prenantes peuvent commencer à trouver un terrain d’entente. Le modèle adopte alors une approche plus progressive pour résoudre le conflit.

Il y a plusieurs conséquences impliquées à la fois dans le succès et l’échec de l’utilisation de la GCA. Le succès dans le processus mènerait à un certain nombre de résultats souhaitables. Le plus important serait sans doute l’émergence d’un leadership pragmatique de la communauté. Concernant la gestion des ressources naturelles, c’est important parce que la GCA fusionnerait différentes opinions ensemble pour promouvoir un usage durable des ressources. Ceci pourrait conduire en outre à une administration et à des pratiques environnementales bénéfiques à la gestion des ressources naturelles. Le nouveau sens de l’administration profiterait à la communauté tout en réduisant les impacts environnementaux. D’un autre coté, l’échec d’une collaboration sur les pratiques de gestion des ressources naturelles entraînerait des effets néfastes pour l’environnement et l’arrêt du développement d’une communauté durable.

Les gestionnaires des ressources naturelles du 21e siècle ont du pain sur la planche. La civilisation se rapproche d’un point de l’histoire de l’humanité où elle sera forcée de compter avec les effets anthropiques sur la biosphère. Nous vivons maintenant une époque où nous pouvons physiquement voir et expérimenter l’impact de notreempreinte écologique. Il y a une véritable domination humaine sur tous les systèmes mondiaux. Cette domination affecte toute une gamme de sujets, de la santé humaine aux politiques que nous menons. Alors que nous empiétons davantage sur les systèmes naturels, la transmission de nouvelles maladies à l’homme via les animaux et insectes est en croissance rapide. Un important problème politique qui monte actuellement aux États-Unis est la réforme de l’immigration. Des études suggèrent qu’un grand nombre d’agriculteurs mexicains pourraient migrer vers le nord en raison des effets du changement climatique sur le rendement de leurs champs. Il existe de nombreux autres exemples de liens entre l’impact de l’homme sur la biosphère et les affaires courantes. La question est de savoir comment l’humanité peut répondre à ces questions.

Les implications de ces défis nécessitent une approche scientifique de la gestion des ressources pour accompagner rapidement les changements face à la grande incertitude que nous réserve l’avenir. Cette incertitude résulte des changements environnementaux mondiaux, des politiques économiques “néo-libérales” et de la mondialisation de l’économie. Nous devons commencer à interroger les implications à long terme de l’utilisation de nos ressources naturelles, tout en prêtant attention aux exigences sociétales et au bien-être dans un marché mondialisé. Les experts des sciences naturelles et des sciences sociales, les politiciens, les secteurs privé et public doivent commencer à travailler ensemble pour restaurer la biosphère, protéger la bio-diversité et promouvoir la durabilité. Nous devons faire preuve d’honnêteté concernant les limites de nos écosystèmes naturels et mettre en œuvre des politiques qui répondent le mieux possible aux besoins, à la santé et aux exigences d’une société éclairée. En agissant de cette façon, les gestionnaires des ressources peuvent contribuer à la santé de la biosphère sur le long-terme. Utilisée de façon ouverte et responsable, la GCA est un mécanisme qui peut démocratiquement fusionner ensemble des intérêts divergents pour une meilleure planète.

Les caractéristiques les plus importantes de cette gestion par la collaboration adaptative sont sans doute la participation constante et la diversité des idées. Cela permet aux participants d’avancer vers le meilleur plan possible. Cependant, cette diversité a de très larges implications sur la conduite des affaires. La GCA peut être utilisée comme un argument pour promouvoir la redistribution du pouvoir, pour défendre des idées qui profitent aux gens, au véritable marché et à l’environnement.

L’implication collaborative donne à chaque citoyen une voix plus importante dans le processus de décision dans la mesure où elle rejette une approche “top-down” de la gestion des ressources.

Au delà des frontières politiques

Les États ont découpé les paysages, non pas en se fondant sur une approche scientifique de la gestion des ressources, la géologie ou l’écologie, mais plutôt selon des fins politiques. Les États ont dessiné des lignes fictives sur le sol dans le seul but de déclarer les terres comme leurs propriétés – et donc en vue de les exploiter. Dans une société sans État, il y aurait toujours des frontières, mais elles ne seraient pas politiques.

Une vraie société libertarienne analyserait plutôt les terres en terme de lignes d’eaux, d’écosystèmes, de capacité à la production alimentaire, de ressources disponibles à l’échange, de patrimoine culturel etc. Sans frontières politiques, mais avec des frontières naturelles, l’humanité serait davantage consciente de ses environnements naturels, des ressources à sa disposition, et les relations entre communauté et environnement seraient bien mieux comprises. Dans cette société, nous serions libérés des institutions centralisées qui nous volent cette expérience et nous privent de toute chance de mélanger notre travail productif avec ce qui devrait être “notre” territoire.

En résumé, nous récupérerions notre patrimoine culturel. Comme l’anarchiste Gary Snyder l’a finement soutenu dans “The Practice of the Wild“, si les gens vont au-delà des institutions politiques et voient nos juridictions comme un territoire vierge et naturel, alors l’action politique s’efforcerait de protéger encore plus ce paysage naturel. Lorsque nous sommes fiers de notre travail personnel, de notre communauté et de notre environnement immédiat, nous trouvons un intérêt collectif à protéger nos paysages naturels – notre nouvelle relation avec le patrimoine culturel l’exigerait. Nous chercherions à prendre soin de l’eau, des plantes, des animaux, et de toutes nos ressources parce qu’elles feraient partie de notre environnement immédiat : il s’agirait d’une nouvelle façon de s’organiser politiquement et je crois que c’est ce qui arriverait dans une société sans État.

Aujourd’hui, c’est le cœur du mouvement environnementaliste libéral : protéger les liens forts avec les territoires, protéger les lignes d’eaux et les paysages, protéger la biodiversité, et aller au-delà de la destruction de ces communautés écologiques. Ces idées devraient triompher au sein des libéraux puisque car, appliquées, cela libérerait la société des économies centralisées et des gouvernements hégémoniques.

Remise en question de la technologie

Eh, si les écologistes obtiennent ce qu’ils souhaitent, nous allons tous vivre dans des huttes en terre ! C’est une objection commune faite aux verts, une objection à courte vue à vrai dire. Tout bon écologiste sait que les villes sont (ou peuvent) être incroyablement durables et plus il y aura de volontaires pour y vivre, plus il y aura de terres protégées de l’étalement urbain. Il n’y a aucune raison de retourner aux huttes en terre, il y a toutes les raisons d’emprunter résolument la voie du du 21ème siècle.

Toutefois, les libéraux écologistes, doivent s’élever contre la technologie – et pas uniquement contre les malheurs de la consommation. Produit d’un travail créatif, la technologie est bien sûr très bénéfique et sera une aide précieuse pour un développement économique durable. Mais d’un autre coté, à voir les progrès technologiques appliqués à la planète entière (le cas le plus extrême : la géo-ingénierie du climat), à l’humanité (voir les fuites concernant la NSA) et à tout être vivant, il y a une domination anthropocentrique absolue sur les systèmes écologiques. Un bon exemple est bien sûr la technologie nucléaire, particulièrement les armes. La grande course à l’armement nucléaire entre les États a créé suffisamment de puissance pour mettre fin à l’humanité, exterminer l’espèce humaine et menacer l’évolution écologique de notre planète. Aux mains des États, la technologie nucléaire est hégémonique et terrifiante. Il y a de nombreux autres exemples de technologie dangereuse mais, en dernière analyse, la technologie conduit à une vision du monde simpliste et hégémonique ; c’est une insulte à la nature humaine.

La technologie contribue aussi à une centralisation du pouvoir, d’autant plus que c’est l’intelligentsia privilégiéequi oriente l’innovation principalement dans ce domaine. Cela donne à l’élite le pouvoir de dominer tout le monde. La technologie est née dans un système de hiérarchie et d’autorité qui défend les structures sociales basées sur la tyrannie. L’écologisme et le libéralisme forment ensemble le cœur de la dissidence contre cette autorité puisqu’ils sont tous deux opposés au pouvoir privilégié de quelques-uns.

Quelle meilleure raison pour les mouvements libéraux que d’adopter l’écologie ? Concernant l’énergie, les sociétés de combustibles fossiles sont centralisées sous l’égide de ‘État. Comme le savent les libertariens, “la guerre est la santé de l’État”, nous devrions aussi savoir que l’industrie des énergies fossiles alimente ses agressions. Pour assurer sa survie, la dépendance de l’État envers l’industrie des énergies fossiles est absolue : de la production de l’armement, à la militarisation (jusqu’à l’espace), en passant par l’hégémonie, le transport, l’encouragement à la consommation etc. La raison pour laquelle l’énergie fossile est si importante est que l’État en est dépendant.

La véritable solution à la crise énergétique et environnementale est l’autonomisation et la prise de pouvoir social, en remplacement de la foi sociale en un pouvoir centralisé par des institutions dominantes. Cela ne nous ramènera pas des siècles en arrière, mais va plutôt nous conduire, via des économies de transition, vers une démocratisation de la technologie. La démocratisation de l’énergie est une grande inquiétude de l’État, parce qu’une fois que nous aurons réalisé quel est le pouvoir de l’État et son influence sur nous tous, tout s’effondrera. Il n’y a aucune raison que nous soyons branchés sur un réseau électrique centralisé et que notre mode de vie dépende de quelques entreprises. La démocratisation des technologies émergentes et de l’énergie permettra aux gens de sortir du réseau centralisé et conduira les individus et les communautés à s’alimenter eux-mêmes, via les transactions de marché et les ressources à leur disposition : réseaux intelligents, nouvelles technologies de l’énergie solaire, éolien à petite échelle, géo-thermique, micro-générateurs, jardins communautaires, fermes urbaines, économies locales émergentes etc. Nous pouvons d’ores et déjà sortir des grandes institutions centralisées.

La première étape de cette transition est de commencer par le plus simple : l’efficience énergétique. L’efficience est une façon de réduire les coûts en vue de nous préparer à une nouvelle ère débarrassée des énergies fossiles. C’est aussi incroyablement démocratique. Il s’agit simplement d’isoler et d’améliorer nos maisons et les entreprises, qu’elles soient privées ou publiques, afin de conserver davantage d’argent dans nos poches. Le travail d’efficience énergétique dans nos maisons et nos lieux de travail nous rendra moins dépendants des formes centralisées de production d’énergie. Autrement dit, plus il y aura d’argent dans nos poches, moins il y en aura dans les mains des monopoles publics. De même que l’industrie fossile a fortement dépendu de la mécanisation pour rendre les entreprises efficientes, les programmes d’isolation et d’efficience énergétique au sein des communautés créeront des emplois pour tous les niveaux d’éducation et de revenu ; ainsi les gens qui auront perdu leur travail lié au machinisme obtiendront en échange un travail qui aura du sens. Comme pour toute économie de transition, lorsque la recherche et le développement sont libérés des intérêts des sociétés d’État, de nouvelles technologies apparaîtront ; mais l’efficience énergétique est notre premier pas vers la libération de l’énergie.

Une considération écologique

Une société libérée et sans État prônerait la liberté d’expression, célébrerait les différences d’opinions et mettrait tout en œuvre pour protéger toute forme de vie (bactéries, insectes, plantes, reptiles, mammifères, amphibiens, etc.), les habitats, les écosystèmes, et nos précieuses ressources naturelles. L’humanité vivrait par le consentement géologique et écologique : elle serait dépendante de la nature et s’enrichirait grâce aux vastes territoires et aux espaces sauvages. Une société libertarienne serait dépendante de zones étendues de la planète, préservées de la présence de l’Homme, et dont il n’exploiterait pas les ressources pour sa consommation.

La diversité biologique est extrêmement importante. L’homogénéisation de la biosphère agit comme la commercialisation de la vie humaine. Vu que les espèces tendent vers l’extinction et que les paysages sont altérés pour une consommation inutile, cette homogénéisation est très possible et menace de nous voler nos lieux de recueillement. Sans paysage naturel, l’être humain serait totalement industrialisé et nos vies seraient absolument dégradées. Nous n’aurions plus de territoires ni d’espaces sauvages.

Nos cités et nos villes sont absolument incroyables. Nous avons construit des communautés fascinantes, durables et des voisinages qui signifient tant pour nous. Nous avons travaillé pendant des siècles pour construire ces lieux et ils devraient être célébrés. Cependant, la colonisation a ses effets, et en abuser ne serait pas une bonne chose, comme le note Eward Abbey :

Si tous les États-Unis étaient devenus une énorme colonisation, une grande ville, il n’y aurait plus rien pour la comparer. On perdrait le mode de vie rural, le mode de vie agraire, les fermes, les ranchs, les espaces ouverts, les forêts, les déserts, les montagnes et les rivages. Tout aurait été débordé, dévoré. Il semble que ce soit la direction vers laquelle nous allons à présent. Et si nous parvenons à ce projet fou d’essayer de dominer toute la planète et de tout réduire à une culture industrielle, nous nous retournerons alors les uns contre les autres et nous commencerons à en dévorer une autre encore plus vigoureusement et férocement que ce que nous sommes déjà.

Plus il y a d’espaces libres et sauvages préservés, moins il y a d’espaces disponibles pour être exploités par les industries et les États. La préservation de la nature ralentira l’industrialisation de la planète et freinera la croissance des États. La protection de l’environnement nous libérera du consumérisme, de l’énergie et des technologies injustes. Cela nous libérera de notre obsession de la croissance. Cela nous libérera, ainsi que la nature, des pouvoirs centralisés et de la suprématie technologique. Qui sommes-nous pour nous refuser, à nous-mêmes et aux générations futures, la vertueuse expérience des contrées sauvages et de la vie sauvage ?

Le libéralisme et les espaces sauvages sont nécessaires pour la survie de chacun. Comme Gary Snyder le dit : “Sauvage ne signifie pas désordonné ; ça signifie une autre forme d’ordre.” Une autre forme d’ordre dont nous avons, en tant qu’espèce vivante, désespérément besoin.

Travaux cités :

  • Abbey, Edward. Desert Solitaire. McGraw-Hill. 1968
  • Armsworth, Paul ET Al. Ecosystem Service Science and the  Way Forward for Conservation. Conservation Biology, Vol 21, No. 6.  Society for Conservation Biology. 2007.
  • Berry, Wendell. The Long Legged House. Harcourt, Brace & World, Inc. United States of America. 1965.
  • Berry, Wendell. The Agrarian Standard. Orion Magazine. 2002.
  • BeeHive Collective. The True Cost of Coal. No Copyright
  • Cattan, Nacha. “Climate Change Set to Boost Mexican Immigration to the US, Says Study.” The Christian Science Monitor. 2010.
  • Cheng, S Atony et al. “Place” as an Integrating Concept  in Natural Resource Politics. Propositions for a Social Science Research  Agenda. Taylor and Francis. Society and Natural Resources. 16:87 -104.  2003.
  • Churchill et al. Angler Conflicts in Fisheries Management. Fisheries, Vol. 27, No.2. 2002. www.fisheries.org
  • Decker, Daniel J and Lisa C. Chase. Human Dimension Approaches to Citizen Input: Keys for
  • Franklin, Jerry. “Preparing for an Uncertain World: Talking With Jerry Franklin. The Forestry Source. Corvallis OR, 2008.
  • Freyfogle, Eric T. Bounded People, Boundless Land.  Stewardship Across Boundaries. ed. Richard Night and Peter Landues.  Island Press, 1998.
  • Groffman, Peter et al. Restarting the Conversation:  Challenges at the Interface of Ecology and Society. Frontiers in Ecology  and the Environment, 2010.
  • Heifetz, Ronald. “Leadership Without Easy Answers.” The  Belknap Press of Harvard University Press. Cambridge, Massachusetts.  London, England.
  • Robbins, Jim. “Anger Over Culling of Yellowstone’s Bison.” The New York Times. New York, 2008.
  • Rolle, Su. “Measure of Progress for Collaboration: Case  Study of the Applegate Partnership.” United States Forest Service.  Ashland, OR 2002.
  • Shah, Sonia. “The Spread of New Diseases: The Climate Connection.” Yale Environment 360. Yale University. 2009.
  • The University of Tennessee, Knoxville. “Little Book of  Conflict Resolution.” UTK Conflict Resolution Program. Knoxville, TN  1995.
  • Thoreau, Henry David. Resistance to Civil Government. 1849
  • Wagner, Melinda B. Space and Place, Land and Legacy.  Culture, Environment and Conservation in the Appalachian South. Ed  Benita Howell, 2002. University of Ih Press.

écrit par .

traduit par Contrepoints.

Anarchy and Democracy
Fighting Fascism
Markets Not Capitalism
The Anatomy of Escape
Organization Theory