Parler de libertarianisme de gauche, c’est parler d’une position qui est à la fois libertarienne et de gauche. Elle est de gauche en ce qu’elle s’engage pour :
- l’analyse de la lutte des classes
- l’opposition aux privilèges corporatistes
- la lutte contre la pauvreté structurelle
- le partage de la responsabilité pour les vulnérabilités économiques
- la redistribution de la richesse
- l’empowerment du peuple par le peuple
- l’humanisation des conditions de travail
- la protection des libertés civiles
- la lutte contre les guerres de la drogue
- la lutte pour les droits des travailleurs du sexe
- le respect de l’environnement et des animaux
- l’émancipation et la libération des enfants
- le rejet du racisme, du sexisme, du nativisme et des chauvinismes nationaux
- le rejet de la guerre, de l’impérialisme et du colonialisme.
En même temps, le libertarianisme de gauche défend qu’il faut :
- solidement protéger les propriétés légitimes
- soutenir la liberté du marché et l’idéal social de la coopération volontaire et pacifique
- lutter à tous les niveaux contre les politiques statistes
Une position de gauche
Une position de gauche se signale par un intérêt pour les rapports de subordination, d’exclusion et de dépossession. Les libertariens de gauche se sentent avant tout concernés par ces thèmes. Mais ils différent des autres gens de gauche en ce qu’ils :
- affirment la valeur autonome de protections solides pour les possessions légitimes. Posséder est l’expression et le moyen de s’opposer aux rapports de subordination et de soutenir la prospérité. C’est une contrainte à prendre en compte dans les moyens d’actions légitimes.
- font des prédictions différentes sur les suites réelles de la liberté du marché. Un marché libre n’est justement pas un terrain de jeu pour les plus grosses entreprises.
- offrent des explications différentes sur les origines et la persistance de certains phénomènes sociaux révoltant. Ainsi, la domination au travail et la récurrence de la pauvreté sont plutôt dus à la persistance des privilèges d’une élite qu’à un marché libre.
- réclament d’autres remèdes pour ces phénomènes. En particulier, ils luttent contre les injustices tolérées ou perpétrées par l’État et encouragent l’action solidaire et volontaire.
Les libertariens de gauche partagent avec le reste de la gauche l’idée qu’il existe des gagnants et des perdants prévisibles dans la société au-delà des talents individuels. Mais ils soutiennent que ce n’est pas une conséquence d’un marché libre. C’est la conséquence d’agressions perpétrées par l’État contre ses citoyens. L’État est toujours un appareil utilisé par les plus riches pour leurs profits et ceux de la caste des haut-fonctionnaires. La lutte des classes doit être une lutte contre l’État.
Les libertariens de gauche partagent avec le reste de la gauche l’idée que les plus grandes entreprises jouissent de privilèges qui ne profitent qu’à eux au détriment du public. Mais ils insistent sur le fait que la seule réponse correcte est la suppression des subventions, des marchés captifs et des régulations qui créent des monopoles. Il faut réduire l’influence de l’État sur les marchés car il faut toujours s’attendre à ce qu’elle ne serve qu’à décourager l’innovation au profit des monopoles existants ce qui a pour effet d’appauvrir le public.
Les libertariens de gauche sont également outragés par la pauvreté structurelle et la reconnaissance que les plus riches et les plus sociables rédigent les lois économiques et politiques à leur avantage au détriment des pauvres. Mais ils insistent sur le faut que la pauvreté n’est pas une conséquence des marchés libres. Elle est la conséquence du vol à l’échelle des États des populations via des privilèges comme les délivrances de licence, la propriété intellectuelle ou les règles urbanistiques. Ces règles empêchent la population de réaliser ses talents ou en augmentent le coût. Éliminer la pauvreté c’est éliminer les vols des biens communs que sont les privilèges garantis par l’État.
Les libertariens de gauche partagent avec le reste de la gauche la compassion pour les acteurs économiques les plus vulnérables et reconnaissent que ces acteurs ne peuvent se défendre seuls, qu’ils faut partager leur prise en charge et subvenir à leurs besoins concrets et moraux. Mais ils insistent sur le fait que ce sont d’abord les mutualisations des moyens d’aide qui doivent primer. Il faut s’attendre à ce que les arrangements privés soient plus efficaces et intelligents que l’aide étatique financée par des taxes et les limitations dans les choix d’aide que cela implique.
Les libertariens de gauche partagent avec le reste de la gauche la conviction que la redistribution de la richesse est utile sinon nécessaire. Mais ils se refusent à sanctionner un seul modèle de redistribution et à l’imposer par l’acquisition agressive des possessions légitimes. Ils suggèrent que la redistribution doit être effectuée via le système légal en soutenant les aides solidaires mutualistes et en laissant les marchés libérés des privilèges réduire les inégalités.
Les libertariens de gauche croient comme les Verts ou la Nouvelle Gauche que les prises de décisions doivent être décentralisées et que les gens doivent pouvoir s’impliquer au maximum dans les décisions qui les concernent. Mais ils soutiennent que toute association doit être consensuelle, une fois certains droits inaliénables garantis. Les décisions prises en haut des pyramides sont plus faillibles car les preneurs de décision individuels ont toujours tendance à privilégier leurs intérêts sur ceux du public. Les unités politiques de faible ampleur sont les plus humanisantes et les plus à même de résoudre les problèmes réels des gens. La décentralisation doit pouvoir arriver jusqu’au niveau individuel.
Les libertariens de gauche ont réalisé comme le reste de la gauche que les espaces de travail hiérarchiques sont abrutissants et déresponsabilisants. Ils sont moralement répréhensibles. Mais ils insistent sur le fait que de tels espaces sont d’autant plus plausibles que l’État est fort. Les hiérarchies servent à limiter les capacités des travailleurs à utiliser leurs connaissances pour répondre souplement et efficacement aux défis posés par les impératifs de production et distribution et par les besoins des clients. Dans un marché libre, l’inefficacité des structures hiérarchiques les amèneraient à disparaître pour être remplacées par des alternatives plus dignes comme l’auto-emploi ou le travail dans des coopératives. Les hauts-fonctionnaires d’un État ont toujours tendance à privilégier les leurs dans la conduite des entreprises et les régulations étatiques limitent toujours les pouvoirs des syndicats pour lutter contre les hiérarchies.
Les libertariens de gauche partagent avec le reste de la gauche un vrai enthousiasme pour les libertés civiles. Mais ils affirment que l’État est le premier ennemi de ces libertés et que le meilleur moyen de préserver nos libertés est de préserver notre contrôle sur nos corps et nos biens.
Les libertariens de gauche croient comme le reste de la gauche que la guerre contre la drogue est destructrice, raciste et absurdement coûteuse. Mais ils insistent sur le fait que la meilleure protection contre les campagnes de prohibition de toutes sortes est de respecter les droits des personnes sur leurs corps et biens légitimes, que donc les limitations agressives contre ces échanges nuisibles mais volontaires devraient être interdites.
Les libertariens de gauche se sentent aussi concernés par le bien-être des travailleurs du sexe. Mais ils notent que les actions étatiques violentes contre ces travailleurs créent ou intensifient les risques inhérents à ce type de travail.
Les libertariens de gauche s’opposent comme le reste de la gauche passionnément à la violence policière et à la corruption. Mais ils insistent sur le fait que ces phénomènes ne sont pas anecdotiques et dus à quelques pommes pourries, mais une conséquence inévitable de la concentration étatique des pouvoirs et de la déresponsabilisation des acteurs qu’elle crée.
Les libertariens de gauche partagent avec le reste de la gauche une préoccupation persistante pour la qualité de l’environnent et le bien-être des animaux. Mais ils insistent sur le fait que ces dégâts peuvent être empêchés et soignés sans l’intervention de l’État dès lors que les biens légitimes des agents et leurs corps sont fortement protégés. Au contraire, actuellement, l’État protège le plus souvent les pollueurs et soutient ceux qui maltraitent les animaux.
Les libertariens de gauche se soucient comme le reste de la gauche du bien-être des enfants. Mais ils soulignent l’importance du respect des droits des enfants à contrôler leurs corps et leurs biens. Ils refusent de les considérer comme la propriété de leurs parents et refusent qu’un État paternaliste interfère avec leurs libertés. L’État n’est pas le protecteur des enfants mais les contraint en les forçant par exemple à aller à l’école.
Les libertariens de gauche partagent avec le reste de la gauche la conscience de la répugnance des racismes, sexismes, hétérosexismes, nativismes et chauvinismes nationaux. Mais ils insistent sur le rôle crucial de l’État dans la création et la perpétuation de ces discriminations. Les actions solidaires et non-agressives sont la juste réponse avec les discriminations persistantes. Ils promeuvent l’abolition du monopole d’État sur le mariage et l’ouverture des frontières pour favoriser les migrations.
Les libertariens de gauche s’opposent fermement comme le reste de la gauche aux impérialismes et aux colonialismes. Mais ils insistent sur le fait que l’État ne fait que reproduire là un comportement qu’il adopte à l’intérieur de ses propres frontières par rapport aux classes dominées. Toute interférence contre un comportement pacifiste sur son propre territoire est déjà moralement répréhensible. Par conséquent, la conscription est une forme d’esclavage injuste. Ils insistent sur la probabilité de réduction des guerres qu’entraîne la libre circulation des hommes et les marchés libres. L’opposition à la guerre est en soi une opposition à l’État.
Une position libertarienne
Une position libertarienne est marquée, comme je le suggère, par le soutien à l’égalité d’autorité entre les hommes, par la forte volonté de protections robustes des biens légitimes et par l’incitation à la coopération pacifique et volontaire, à l’inclusion des échanges commerciaux. Les libertariens de gauche partagent ces préoccupations mais différent des autres libertariens en ce qu’ils :
- font des prédictions différentes sur les effets probables de la libération des humains et de l’élimination des agressions institutionnalisées qui les empêchent de coopérer pacifiquement et volontairement, comme le maintien des entreprises hiérarchisées.
- appellent à accepter les conséquences de la construction d’une société libre. L’élimination des privilèges étatiques doit servir la solidarité, la diversité et la lutte contre la pauvreté.
- n’ont pas la même approche socio-historique des causes et dynamiques des phénomènes sociaux, en ce que la richesse n’est pas tant vue comme un résultat des vertus individuelles que comme la résultante de privilèges étatiques et en considérant que les discriminations sont moralement répréhensibles et doivent être non-agressivement traitées
Les libertariens de gauche pensent comme les autres libertariens que personne n’a plus de droit naturel qu’un autre à édicter les lois et que les autorités non-consensuelles sont teintées d’illégitimité. Cette égalitarisme implique naturellement une tendance à l’anarchisme, puisque l’autorité des États n’est jamais consensuelle. Mais les libertariens soutiennent en plus que le soutien de l’égalité en autorité des humains implique la lutte contre toutes les discriminations. Ils considèrent aussi que les décisions individuelles peuvent être moralement critiquables et que tous les moyens non-agressifs peuvent être utilisés pour s’y opposer.
Les libertariens de gauche soutiennent la propriété comme les autres libertariens. Mais ils rejettent la légitimité d’une quelconque propriété intellectuelle et soutiennent que les biens acquis avec l’aide essentielle de l’État ou par la violence sont illégitimes. Il revient aux individus de décider collectivement s’ils veulent que certains bien soient communs ou non. Il y a des limites claires que les gens peuvent poser pour protéger leurs possessions, mais les franchir ne justifie pas l’usage de la violence. Il est toujours possible de s’opposer sans surenchérir dans l’agression aux vols ou agressions d’autrui.
Les libertariens de gauche partagent avec les autres libertariens l’idée que la coopération volontaire et pacifique doit fonder les relations sociales. Mais ils différents des autres libertariens en soutenant que si la force peut être utilisée en réponse à une agression, tout type de réponse à la violence doit permettre à chacun d’exprimer pacifiquement sont individualité. Les associations ne sont légitimes que si elles permettent à tous leurs membres de s’exprimer et d’influencer autant que possible la trajectoire du collectif.
Même s’ils rejettent le capitalisme, les libertariens de gauche sont enthousiasmés par les marchés libres. Ils défendent que tous doivent pouvoir librement échanger parce qu’ils pensent en tirer un bénéfice, que les prix sont d’excellents guides pour les producteurs et distributeurs, largement supérieurs aux planifications et que les associations et individus doivent prendre sur eux les bénéfices comme les coûts de leurs choix. L’injustice de fond qu’est l’État tord les prix et contraint les options des marchands. Par ailleurs tous les échanges humains ne sont pas nécessairement marchands ni n’ont toujours besoin d’être commercialisés.
Une vision transformée
Les libertariens de gauche embrassent des idéaux libertariens et gauchistes.
Ils veulent montrer qu’il est raisonnable de s’opposer à la pauvreté structurelle tout en favorisant la liberté des marchés, de chercher la dignité des travailleurs et la protections des biens légitimes, de favoriser la liberté d’association tout en s’opposant aux discriminations arbitraires, d’encourager à la fois la paix et les libertés économiques, de rejeter toute guerre comme un impérialisme et de toujours soutenir la coopération volontaire et pacifique.
Ce faisant, ils offrent une vision attirante et provocance de la politique et veulent un monde qui se signale par plus de liberté et de justice.
écrit par Gary Chartier.
traduit par Xavier Gillard.